Critique « Origin » : Ava DuVernay et Aunjanue Ellis-Taylor transforment la « Caste » d’Isabel Wilkerson en une tendre histoire d’amour

Le retour d’Ava DuVernay au long métrage se double d’un retour aux sources thématique. Origine, vaguement adapté du tome d’Isabel Wilkerson Caste : les origines de nos mécontentementsest, à la base, une histoire profondément sincère d’amour et de chagrin.

L’intérêt de DuVernay pour l’animation de la vie intérieure des femmes noires remonte à son premier long métrage, Je suivrai, dans lequel elle explore les contours du chagrin d’une jeune femme après la mort de sa tante. Elle a construit dessus avec Au milieu de nulle part, un deuxième long métrage remarquable sur une infirmière confrontée à sa relation avec son mari incarcéré. Et bien que Selma parle du Dr Martin Luther King Jr., le film complique Coretta (Carmen Ejogo), la positionnant comme la co-conspiratrice stratégique de King au lieu d’une simple épouse dévouée. Dans tous ces films, DuVernay centre le paysage émotionnel des femmes noires, réfléchissant à la manière dont les contraintes interpersonnelles et structurelles façonnent leurs comportements.

Origine

L’essentiel

Se connecte émotionnellement, sinon toujours intellectuellement.

Caste n’est pas un texte évident à adapter. Il s’agit d’un livre érudit et consistant, dans lequel Wilkerson utilise la notion de caste – le système de division de la société en groupes sociaux fixes – comme cadre pour comprendre la persistance du racisme américain. Le journaliste lauréat du prix Pulitzer étudie la ségrégation aux États-Unis, le système des castes en Inde et le plan de l’Allemagne nazie visant à éradiquer le peuple juif pour expliquer comment les hiérarchies rigides sont des outils à la fois d’asservissement et d’extermination.

Pour distiller les idées de Wilkerson, DuVernay se penche sur les événements personnels qui ont poussé l’auteur à écrire Castefaçonnage Origine comme un film de processus. Ce point de vue intime offre également une tendre histoire d’amour, animée par les performances passionnées et engagées d’Aunjanue Ellis-Taylor et Jon Bernthal.

Le film s’ouvre avec Trayvon Martin (Myles Frost) marchant vers le magasin alors qu’il était au téléphone avec un ami. Leurs plaisanteries sur le petit-déjeuner sont légères et juvéniles, renforçant la jeunesse de Martin avant son meurtre en 2012. DuVernay ne montre jamais George Zimmerman, mais lorsque Trayvon remarque une voiture qui le suit chez lui, la présence du gardien du quartier se fait sentir et un sentiment d’effroi recouvre l’interaction.

DuVernay a une manière de reconstruire des moments tragiques familiers. Elle choisit presque toujours de dépeindre l’horreur de la violence raciste, communiquant cette méchanceté en menant des scènes de tendresse ludique. Ici, elle fait monter la tension puis passe à une scène d’Isabel (Ellis-Taylor) prenant soin de sa mère Ruby (Emily Yancy) avec l’aide de son mari Brett (Bernthal). Ces transitions abruptes (montées par Spencer Averick), utilisées avec parcimonie tout au long du film, soulignent la brutalité de la vie quotidienne, soulignant la frontière ténue entre routine et tragédie.

Origine s’organise en fils discrets : la relation entre Isabel et sa famille ; celui entre l’écrivain et son œuvre ; et les représentations de CasteThèse destinée au grand public. Pour remplir ce dernier mandat, DuVernay demande à Ellis-Taylor de lire des extraits du livre de Wilkerson sur de brèves dramatisations. Il y a l’histoire d’August Landmesser (Finn Wittrock), un Allemand solitaire qui a refusé de saluer Hitler parce qu’il était tombé amoureux d’Irma Eckler (Victoria Pedretti), une juive. Il y a les recherches effectuées par les anthropologues noirs Allison et Elizabeth Davis (Isha Blaaker et Jasmine Cephas-Jones) et leurs collègues blancs Burleigh et Mary Gardner (Matthew Zuk et Hannah Pniewski) pour enquêter sur le système de castes raciales dans le Sud de l’ère Jim Crow. Et puis il y a le présent d’Isabel, qui s’appuie sur un voyage en Inde, où elle rencontre des universitaires pour mieux comprendre le système de castes de ce pays.

Le film vacille alors qu’il tente d’équilibrer ces récits, qui peinent à se compléter de manière tout à fait satisfaisante. Et le scénario de DuVernay répond mollement aux principales critiques du livre de Wilkerson, à savoir la façon dont les nuances sont perdues lorsque l’on compare à grands traits l’extermination des Juifs, l’esclavage des Noirs et la subordination des Dalits. Un moment fascinant où un personnage interroge ce cadre est éteint par une transition trop rapide vers Isabel racontant ses frustrations face à la rencontre.

D’autres questions surgissent également, la plus difficile à ignorer étant celle de savoir comment les allégeances de classe pourraient perturber les castes aux États-Unis. Les conversations d’Isabel sur ses idées se déroulent dans des manifestations de la tour d’ivoire : cocktails chics, cérémonies de remise de prix et bureaux d’édition décorés avec goût. Regarder son personnage évoluer dans ces environnements et interagir avec des éditeurs blancs complaisants introduit une tension aussi vieille que les conversations sur le racisme aux États-Unis : le bras de fer entre le statut socio-économique et la couleur de la peau comme facteur dominant dans la formation de l’identité.

Les relations d’Isabel avec sa famille et son travail constituent la couche la plus forte et la plus confiante de Origine. Ces scènes mélangent le suspense des films de journalisme comme Projecteur et Dit-elle avec le cœur émotionnel d’un drame familial. En collaboration avec le directeur de la photographie Matthew Lloyd, DuVernay utilise des gros plans et des prises de vue en contre-plongée pour faire d’Isabel une figure composée à parts égales de force et de vulnérabilité. Ellis-Taylor, une actrice vraiment remarquable, travaille avec une intensité tranquille, étoffant le portrait d’une femme noire essayant de trouver des moyens de surmonter son chagrin. Les flashbacks sur la cour de Brett et Isabel humanisent leur relation, donnant vie à un amour et à un partenariat prématurément interrompus.

Après la mort de Brett et de sa mère, Isabel trouve du réconfort auprès de sa cousine Marion (Niecy Nash-Betts) et se lance dans l’écriture. Sa relation avec Marion offre un espace dans lequel l’écrivaine endeuillée peut surmonter les nœuds de son chagrin et les défis de son travail. Il y a là une tendresse, que DuVernay capture dans les appels téléphoniques longue distance entre les deux et dans un échange à cœur ouvert lors d’un repas en famille.

À travers les voyages d’Isabel, au cours desquels elle interviewe des gens sur l’impact de la caste sur leur vie, et ses conversations avec son éditeur, nous comprenons comment le chagrin façonne le livre. Le processus, comme pour toute entreprise artistique, est à la fois isolant et gratifiant. Nous avons déjà vu à plusieurs reprises l’histoire d’une femme qui se cherchait elle-même après une tragédie, mais dans OrigineDuVernay se l’approprie affectueusement.

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